France Caza
« C’est une très belle récompense pour un travail qui a impliqué tant de gens qui m’ont encouragée et appuyée à travers les années, que ce soit des collègues du labo, d’autres équipes de recherche ou les nombreux collaborateurs internationaux impliqués dans ce projet. Il ne faut pas se le cacher, cela signifie aussi qu’on peut accomplir bien des choses, quel que soit notre âge… »
France Caza
Doctorat en biologie, 2021
Centre Armand-Frappier Santé Biotechnologie
Direction : Richard Villemur
Le sujet de recherche de France Caza porte sur les changements climatiques et leurs impacts sur notre planète, particulièrement observés dans les milieux polaires et subantarctiques. Pour mieux évaluer ces impacts sur le milieu marin, madame Caza a utilisé la moule comme espèce sentinelle. Ses études ont permis de mieux comprendre comment deux espèces réagissent sous l’effet des stresseurs environnementaux tels que le stress thermique et l’exposition à des métaux lourds. Ces découvertes sont importantes puisque ce mécanisme pourrait contribuer à la dissémination de cellules cancéreuses, une menace réelle observée au cours des dernières années.
Qu’est-ce qui vous a amenée à l’INRS?
J’ai pratiqué la médecine pendant 32 ans. D’abord à titre d’urgentologue, puis en médecine familiale. À travers toutes ces années, j’ai toujours porté une attention à la recherche et souvent pensé à poursuivre une deuxième carrière en recherche. Avec le temps, mes intérêts se sont portés de plus en plus vers l’environnement, notamment dans le contexte des changements climatiques. Cette opportunité s’est offerte à moi via le professeur Michel Fournier. Celui-ci cherchait un immunologiste avec une expérience en milieu polaire pour étudier l’effet des changements climatiques et des métaux lourds sur le système immunitaire des moules de Kerguelen, un archipel français situé en région subantarctique. Mon époux a répondu oui à cette invitation et je me suis jointe à lui à titre d’étudiante à temps partiel. Avec le temps, je suis devenue une passionnée de la recherche en milieu marin. J’ai pris alors ma retraite à titre de médecin afin de me consacrer à temps plein à mes études. Au final, j’ai accompli quatre missions aux îles Kerguelen et développé des expertises qui jumelaient mes connaissances de la médecine à celles de l’écologie marine.
Que retenez-vous de votre expérience?
Pour moi, il est clair que l’environnement fourni par l’INRS et le Centre Armand-Frappier Santé Biotechnologie ont été des atouts pour ce changement de carrière. L’INRS est un milieu accueillant à l’échelle humaine, c'est-à-dire une université de dimension suffisante pour être stimulante d’un point de vue scientifique tout en conservant une proximité pour les étudiant-e-s. Les professeur-e-s sont très disponibles et aidants. Les programmes d’études sont flexibles, ce qui m’a permis de concilier travail, études et famille. Le soutien aux étudiants est omniprésent, que ce soit l’aide pour l’obtention de bourses, pour régler des soucis administratifs ou des aspects de santé mentale. La collaboration et la proximité, au niveau scientifique ou administratif, sont omniprésentes et amicales. On s’y sent bien.
Pouvez-vous nous décrire l’enjeu et l’impact de la recherche présentée dans votre thèse doctorale?
Nous savons que les changements climatiques sont un enjeu majeur pour l’avenir de notre planète et des générations futures. Ces changements sont particulièrement marqués dans les milieux polaires et subantarctiques comme à Kerguelen. Cet archipel se situe aux limites des océans Indien et Antarctique.
Pour mieux évaluer l’impact des changements climatiques sur le milieu marin, nous avons utilisé la moule comme espèce sentinelle. Nous y avons étudié deux espèces de moules qu’on y retrouve et qui y vivent dans un fragile équilibre côte à côte, à savoir la moule bleue (Mytilus edulis) et la moule striée (Aulacomya ater). Nos études nous ont permis de mieux comprendre comment elles réagissent sous l’effet des stresseurs environnementaux tels que le stress thermique et l’exposition à des métaux lourds. Nous avons notamment trouvé que ces stresseurs peuvent induire des échanges de cellules immunitaires entre les moules.
Ces découvertes sont importantes puisque nous croyons que ce mécanisme pourrait contribuer à la dissémination de cellules cancéreuses. Les moules, comme les humains, peuvent avoir la leucémie. Nous croyons ainsi que des stress thermiques pourraient favoriser la dissémination de leucémie chez les moules, une menace réelle observée au cours des dernières années.
Dans un second temps, en s’inspirant des avancées technologiques biomédicales chez l’humain, nous avons appliqué le concept de biopsie liquide chez la moule. Chez l’humain, ce concept est basé sur l’analyse d’ADN circulant dans le sang du patient. Chez la moule, nous avons analysé cet ADN circulant à partir d’un prélèvement d’un petit échantillon d’hémolymphe. L’analyse de cet ADN relargué par les organismes vivants de l’écosystème et capté par la moule grâce à ses propriétés filtrantes nous a permis d’évaluer avec une plus grande sensibilité et de précision l’impact des stress environnementaux sur la santé de la moule et la biodiversité de son écosystème.
Finalement, nous avons combiné le concept de biopsie liquide avec les nouvelles techniques d’échantillonnage utilisées en science médico-légale afin de favoriser l’échantillonnage en milieux polaires. En facilitant la logistique d’échantillonnage chez la moule, ces avancées nous permettront non seulement de mieux comprendre comment ces espèces sentinelles peuvent réagir face aux stress environnementaux, mais favoriseront la mise en place d’observatoires pour évaluer les effets à long terme des changements climatiques des écosystèmes marins en régions polaires.
Que signifie pour vous le fait de remporter ce prix?
C’est une très belle récompense pour un travail qui a impliqué tant de gens qui m’ont encouragée et appuyée à travers les années, que ce soit des collègues du labo, d'autres équipes de recherche, ou les nombreux collaborateurs internationaux impliqués dans ce projet. Il ne faut pas se le cacher, cela signifie aussi qu’on peut accomplir bien des choses, quel que soit notre âge…
Quel est le prochain chapitre pour vous, maintenant que vous obtenez votre diplôme?
Assurément, la poursuite de ma deuxième carrière ! J’espère continuer à acquérir de nouvelles expertises dans les domaines les plus innovants, et ce afin de faire ma part pour aider à lutter contre les effets des changements climatiques. C’est important pour moi, pour mes enfants et mes petits-enfants. Je poursuis actuellement mes recherches au niveau postdoctoral. Je reviens tout juste d’une autre campagne à Kerguelen avec l’Institut polaire français Paul-Émile Victor. Je suis également impliquée dans des études sur les effets de perturbateurs endocriniens sur les poissons, en utilisant la biopsie liquide comme biomarqueurs de santé, comme on le fait chez l’humain.
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