Emily Fitzhenry
« Ce prix représente pour moi la reconnaissance par la communauté scientifique de ma persévérance, de ma capacité à synthétiser et à vulgariser l'information et de la contribution du projet de recherche à l’avancement des connaissances dans le domaine de la réhabilitation in situ.»
Emily Fitzhenry
Maîtrise en sciences de la Terre, 2021
Centre Eau Terre Environnement
Direction : Richard Martel; codirection : Thomas Robert
La maîtrise d’Emily Fitzhenry porte sur un inconvénient bien documenté des technologies de réhabilitation environnementale des sites contaminés qui est lié à la circulation préférentielle des fluides injectés (air, oxydants, bactéries) dans les zones de haute perméabilité. Les contaminants contenus dans des horizons moins perméables sont alors contournés par l’agent réhabilitant et ne peuvent être récupérés. L’injection de mousses produites à partir de solutions tensioactives pour la réhabilitation de sols contaminés par des liquides organiques immiscibles apparaît comme une méthode prometteuse. Sa recherche a impliqué le développement d’une méthode permettant de visualiser par tomodensitométrie l’intérieur d’une colonne de sable contaminée au diesel, et de quantifier les saturations en fluides pendant la réalisation d’essais d’injection de mousse. La méthodologie développée dans le cadre de cette recherche pourrait être appliquée pour optimiser d’autres protocoles d’imagerie permettant d’étudier des écoulements multi-phases impliquant divers matériaux naturels.
Qu’est-ce qui vous a amenée à l’INRS?
À l’automne 2014, après l’obtention de mon baccalauréat en géologie à l’Université McGill, j’ai été embauchée en tant que professionnelle en environnement par une firme de génie-conseil internationale. Ce travail m’a ouvert les yeux sur le domaine de la consultation en environnement, et m’a amenée à voyager à travers le Canada. Pendant mes premières années de carrière, lorsque les gens m’interrogeaient sur mon gagne-pain, ils étaient souvent impressionnés lorsque je leur expliquais comment on réalise une caractérisation environnementale ou lorsque je leur décrivais les chantiers d’excavation sur lesquels je travaillais. Ces gens étaient tous sympathiques à la cause des changements climatiques et des dommages environnementaux en général et je sentais qu’ils me mettaient sur un piédestal lorsque je racontais mes anecdotes de travail.
Par contre, derrière tout ça, je voyais bien que ce que je faisais dans mon travail quotidien semblait aller à l’encontre des principes de développement durable. Les entreprises, municipalités, gouvernements, ou particuliers qui doivent gérer un terrain contaminé recherchent généralement une solution de réhabilitation définitive et rapide. Je me retrouvais donc, un projet après l’autre, en train de superviser l’excavation de sols contaminés, leur chargement dans des camions et leur enfouissement hors site, suivi par l’importation par camion de matériel de remblai propre. Après quatre ans, un sentiment de désillusion commençait à s’installer en moi et j’ai décidé que j’avais besoin d’un changement.
Au fil du temps, j’avais fini par apprendre que plusieurs de mes collègues occupant des postes plus techniques et spécialisés au sein de la compagnie avaient obtenu leur diplôme de maîtrise ou de doctorat à l’INRS. C’est en m’informant sur le parcours universitaire de mes collègues que j’ai réalisé que le Professeur Richard Martel avait agi à titre de directeur de recherche pour un bon nombre d’entre eux et que leurs sujets de recherche concernaient surtout l’hydrogéologie des contaminants et la réhabilitation in situ des sols. J’ai donc contacté Richard pour lui demander s’il était à la recherche d’un.e. étudiant.e. pour un projet de maîtrise. Je voulais absolument travailler au sein de son groupe de recherche et je voulais suivre son cours d’écoulement multiphase en milieux poreux donné conjointement avec le Professeur René Lefebvre, un autre expert dans le domaine. C’est donc l’expertise des membres du corps professoral et leurs liens avec l’industrie qui m’ont amenée à étudier à l’INRS.
Que retenez-vous de votre expérience ?
Grâce au soutien de mon directeur Richard Martel et de mon codirecteur Thomas Robert, ainsi qu’à la contribution des membres de l’équipe du laboratoire CT scan (Mathieu, Philippe, Louis-Frédéric), mes travaux de recherche à l’INRS ont abouti à la publication de deux articles scientifiques, qui me sont une source de fierté et de grande satisfaction. Également, je chérirai pendant très longtemps les liens d’amitié que j’ai développés avec les autres étudiant.e.s à l’INRS.
Pouvez-vous nous décrire l’enjeu et l’impact de la recherche présentée dans votre mémoire de maîtrise ?
Un inconvénient bien documenté des technologies de réhabilitation in situ est lié à la circulation préférentielle des fluides injectés (air, oxydants, bactéries) dans les zones de haute perméabilité. Les contaminants contenus dans des horizons moins perméables sont ainsi contournés par l’agent réhabilitant et ne peuvent être récupérés. L’injection de mousses produites à partir de solutions tensioactives pour la réhabilitation de sols contaminés par des liquides organiques immiscibles apparaît comme une méthode prometteuse. La mousse permet d’améliorer l’efficacité de balayage en milieu poreux hétérogène grâce à ses propriétés non newtoniennes, d’éliminer les instabilités du front d’injection causées par les forces visqueuses et d’abaisser les forces capillaires via une diminution de la tension interfaciale entre les phases aqueuse et organique.
La rhéologie des mousses en milieu poreux a fait l’objet d’études approfondies en génie pétrolier (récupération assistée du pétrole), dans le but de résoudre des problèmes de balayage inefficace des réservoirs. Par contre, l’injection de mousse dans un contexte de réhabilitation environnementale présente des différences importantes par rapport à son application en génie pétrolier. Notamment, les procédés en génie pétrolier sont réalisés dans les grès de réservoirs profonds en employant des pressions d’injection très élevées. Par contraste, les aquifères peu profonds dans lesquels les traitements des sites sont effectués sont constitués de dépôts meubles non consolidés, qui ne peuvent tolérer que de faibles pressions d’injection pour éviter le soulèvement du sol. Ainsi, l’injection de mousse dans un contexte environnemental est limitée à de basses pressions, qui ne sont pas favorables à l’écoulement d’une mousse forte, condition primordiale pour la récupération entière d’un contaminant. Il convient donc d’adapter et d’optimiser l’injection de mousse en fonction des objectifs de réhabilitation, du cadre financier, et des contraintes physiques qui s’appliquent aux aquifères granulaires peu profonds.
La meilleure compréhension des paramètres opérationnels à privilégier pour une injection de mousse en contexte environnemental est limitée par l’incapacité d’observer les conditions à l’intérieur des milieux poreux lors d’essais en laboratoire. Ainsi, ma recherche a impliqué le développement d’une méthode permettant de visualiser par CT-Scan l’intérieur d’une colonne de sable contaminée au diesel et de quantifier les saturations en fluides pendant la réalisation d’essais d’injection de mousse. La méthodologie développée dans le cadre de ma recherche pourrait être appliquée pour optimiser d’autres protocoles de CT-Scan permettant d’étudier des écoulements multiphases impliquant toutes sortes de matériaux naturels.
Que signifie ce prix pour vous ?
Mon projet de recherche a apporté son lot de défis et de problèmes à résoudre. J’avais perdu le compte du nombre de journées de 12 heures passées seule (pandémie oblige) dans nos locaux du Parc technologique, à répéter des essais d’injection dans l’espoir de récupérer un banc de diesel à l’effluent de ma colonne et à me battre contre des messages d’erreur dans le logiciel Matlab. De plus, je suis consciente que mon sujet de recherche, reliant tomographie à rayons X et écoulement multiphase en milieu poreux, peut être complexe. C’est pour cette raison que je tenais à inclure dans mon mémoire un chapitre présentant un survol des concepts théoriques importants et une revue de littérature bien expliquée, pour rendre la lecture plus agréable. Ce prix représente pour moi la reconnaissance par la communauté scientifique de ma persévérance, de ma capacité à synthétiser et à vulgariser l’information, et de la contribution du projet de recherche à l’avancement des connaissances dans le domaine de la réhabilitation in situ.
Quel est le prochain chapitre pour vous maintenant que vous êtes diplômée ?
J’œuvre au sein d’une petite firme de génie-conseil possédant une expertise en réhabilitation in situ des sols, de même qu’en gestion des ressources en eau. Il ne m’a pas fallu longtemps pour découvrir les nombreux avantages de travailler pour une PME. C’est un lieu de travail où les valeurs humaines sont en priorité, ce qui favorise une ambiance chaleureuse et conviviale. L’étroite collaboration entre les employés de tous niveaux — si loin de la hiérarchie bureaucratique des grandes entreprises — me permet d’observer et de comprendre comment l’entreprise fonctionne, et fait en sorte que je me sente écoutée et même capable d’influencer les décisions qui sont prises, dans une certaine mesure.
Étant donné la variété des champs d’expertise des ingénieurs et hydrogéologues séniors et la culture de l’apprentissage qu’ils et elles promeuvent, je suis amenée à travailler sur des projets qui s’étendent sur plusieurs secteurs, ce qui fait de moi une professionnelle plus polyvalente et motivée. Grâce aux bases que j’ai apprises lors de ma formation à l’INRS, je peux maintenant interpréter des essais de pompage de longue durée, contribuer à la conception et à l’exploitation de systèmes de traitement in situ des phases organiques, analyser la vulnérabilité des sources destinées à l’alimentation en eau potable et plus encore. Évidemment, le métier peut parfois être très difficile, puisque dans le cours normal de nos activités, nous sommes à la recherche de solutions face à des problèmes qui peuvent être très sensibles (manque d’eau potable, contamination du terrain d’une personne par une autre, etc.). Mais dans l’ensemble, je reconnais que je suis très privilégiée d’occuper ce poste.
Mes préoccupations par rapport à l’empreinte écologique de mon métier me trottent toujours dans la tête. Avec mon présent poste et les nouvelles compétences en hydrogéologie que développe continuellement, j’espère qu’un jour je serai en mesure de venir en aide à la société avec des solutions pour atténuer les problématiques qui seront inévitablement amenées par les changements climatiques (l’assèchement de nappes phréatiques, la dégradation de la qualité des eaux de surface, etc.). Sinon, dans ma vie personnelle je continuerai à faire du mieux que je peux pour réduire au minimum ma consommation de biens, maintenir des habitudes alimentaires durables, et privilégier des sources d’énergies renouvelables où je peux.
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