Dennis G. Whyte

«En fait, mon passage à l’INRS a carrément modelé le professeur-chercheur que je suis devenu. C’est pourquoi j’opère un centre de recherche à la structure organisationnelle plutôt aplatie. Ce sens de la collégialité, je l’ai recréé ici. Ensuite, la nature même de l’organisation – une institution universitaire de cycles supérieurs d’envergure nationale, avec des liens étroits avec l’industrie – ça m’a paru naturel de lier la recherche avec les milieux preneurs»

Dennis G. Whyte 
Maîtrise en sciences de l’énergie, 1989
Doctorat en sciences de l’énergie, 1993

Directeur, Centre de science des plasmas et de fusion nucléaire, et professeur d’ingénierie Hitachi America, Département des sciences et de génie nucléaires,
Massachusetts Institute of Technology (MIT)

Lauréat d’un Prix Lumières 2023 • catégorie Éclat


Pourquoi avez-vous choisi d’étudier à l’INRS ?

En bref, parce que c’était la meilleure université canadienne pour étudier la fusion nucléaire. À mon avis, ce sont les personnes qui ont une plus grande influence sur notre parcours. Dans mon cas, c’est un professeur de l’Université de la Saskatchewan qui connaissait bien le professeur Brian Charles Gregory, directeur du centre INRS-Énergie à l’époque. Lorsque étudiais au bac en génie physique, il y avait trois grandes industrie dans ma province d’origine : le blé, le pétrole et le hockey. J’ai payé mes études en travaillant pour une compagnie pétrolière. J’ai pris un cours en physique des plasmas avec le professeur Harvey Skarsgard et la fusion m’a tout simplement fasciné. On était en 1986. J’ai simplement dit à mon prof que j’aimais vraiment ce cours et lui ai demandé s’il y avait des possibilités d’emploi dans ce secteur. Il m’a dit qu’il y avait une nouvelle expérience scientifique, un tout nouveau programme canadien de fusion nucléaire qui débutait au Québec. Il a écrit une lettre de recommandation – une vraie lettre envoyée dans une enveloppe par la poste – à l’équipe du Tokamak de Varennes, qui allait construire le premier appareil de confinement magnétique expérimental au pays. Ce sont les cinq minutes qui ont changé ma vie.

Deux semaines plus tard, la réponse nous parvenait : on m’offrait un poste au Tokamak de Varennes (TdeV). J’allais m’installer à Montréal pour travailler sur la fusion magnétique! C’était comme un rêve éveillé.

Puisqu’un jour, un prof m’a offert une occasion unique qui a changé le cours de ma vie, dans ma carrière comme professeur, je ne refuse jamais de rencontré des étudiant.e.s. Je considère que c’est mon travail de les aider à établir les bonnes connexions et c’est un rôle que je prends vraiment à cœur.

Quels souvenirs gardez-vous de votre expérience à l’INRS ?

Ça été une expérience formidable dès le début. Cet été-là, j’ai travaillé à réapprendre le français (ma mère est Franco-Saskoise), puis je suis arrivé à Varennes à la mi-août, en plein milieu d’une épluchette de blé-d’Inde des équipes de l’IREQ et de l’INRS-Énergie. Il y avait un grand sens de la communauté, les gens étaient formidables et il y avait un véritable esprit d’équipe.

Tout le monde a été hyper patient avec moi qui cassait le français. J’ai rapidement travaillé dans le laboratoire et mis les mains dans la recherche. En deux semaines de recherche, j’ai réalisé que j’avais trouvé ma voie : c’est à la recherche sur la fusion que j’allais consacrer ma vie. Je me suis carrément plongé dans la culture québécoise francophone – la cabane à sucre ! – et dans la fusion et les plasmas.

Avez-vous un souvenir préféré du campus?

Je me souviens d’aller jouer au hockey le vendredi matin, avant d’aller déjeuner. Tout le monde m’a appris des termes québécois sur le hockey!

Je retiens aussi des personnes marquantes. Brian C. Gregory, qui est devenu un ami de longue date, Tudor Johnston, Barry L. Stansfield et Bernard Terreault sont parmi ceux qui me restent en tête. Ils m’ont tout appris sur le travail de recherche. J’ai eu de belles interactions avec le personnel, les techniciens, dont Étienne Charrette, et mes collègues étudiants aussi. Nous n’étions que quelques anglophones parmi les francophones à cette époque.

Quelle est la leçon la plus importante que vous retenez de votre passage à l’INRS?

Qu’un esprit collégial va de pair avec une équipe qui travaille fort pour créer de grandes choses. En fait, mon passage à l’INRS a carrément modelé le professeur-chercheur que je suis devenu. D’abord, c’était un milieu qui ne se prenait pas au sérieux, qui n’accordait pas d’importance démesurée à la hiérarchie ni aux titres. C’est pourquoi j’opère un centre de recherche à la structure organisationnelle plutôt aplatie. Ce sens de la collégialité, je l’ai recréé ici.

Ensuite, la nature même de l’organisation – une institution universitaire de cycles supérieurs d’envergure nationale, avec des liens étroits avec l’industrie, notamment avec Hydro-Québec, pour créer le TdeV – ça m’a paru naturel de lier la recherche avec les milieux preneurs. Au MIT, c’est probablement ce qui fait le succès de notre aventure, ce lien avec le secteur privé, la création d’une entreprise privée, le partenariat avec l’industrie. Je dirige le projet de fusion SPARC, un dispositif de fusion compact, à haut champ et à énergie de fusion nette, en collaboration avec notre jeune pousse privée Commonwealth Fusion Systems. L’INRS et le TdeV étaient en quelque sorte des précurseurs dans le maillage entre milieu universitaire et industrie.

Parlez-nous de votre parcours depuis l’obtention de votre diplôme ?

Je suis parti aux États-Unis pour poursuivre mes études en fusion, avec la ferme intention de revenir. J’adorais l’équipe et le programme. Toutefois, la fin prématurée du programme canadien de fusion n’a pas permis ce retour, le financement gouvernemental ayant été cessé.

Je dirige depuis 2014 le centre de fusion du MIT, qui compte 80 étudiants de cycles supérieurs dans le domaine de la fusion. J’espère que j’apporterai au MIT un peu du même esprit que celui que j’ai trouvé à l’INRS.

Comment votre séjour à l’INRS vous a-t-il préparé à votre carrière ?

D’abord, par la recherche en soi sur le tokamak. J’ai travaillé sur plusieurs projets de recherche et j’ai eu la chance de mettre en fonction plusieurs pièces d’équipement clés dans l’appareil. Ça m’a permis de publier des articles dans les revues prestigieuses sur l’énergie par fusion. J’ai ensuite remporté des prix, puis j’ai obtenu une bourse du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) pour aller étudier aux États-Unis. J’ai travaillé avec General Atomics durant mes recherches postdoctorales à l’Université de Californie à San Diego, puis j’ai fait un détour vers le Wisconsin avant de me poser au MIT. Six ans après mon arrivée, l’histoire s’est répétée et notre financement gouvernemental du Département de l’énergie s’est tari. Tirant des leçons de l’expérience du Tokamak de Varennes, j’ai fait tout en mon pouvoir pour protéger la communauté étudiante et m’assurer que les talents n’allaient pas se disperser aux quatre coins du monde. C’est en tendant la main au secteur privé que nous avons pu garder l’équipe. Puis, je suis devenu directeur du Centre et le contexte s’est amélioré. Trente ans après mon expérience au TdeV, la quête pour une source d’énergie propre et durable est plus que jamais d’actualité. J’en retiens aussi que l’investissement dans la recherche fondamentale à long terme est essentiel pour qu’on puisse éventuellement commercialiser les technologies.

Quel conseil souhaiteriez-vous donner aux étudiants actuels ?

Flairez les bonnes occasions et faites tout votre possible pour réaliser votre plein potentiel.

Quels sont vos souhaits pour l’avenir?

Il est regrettable que le Canada ne soit pas plus à l’avant-plan dans la course actuelle. Il reste toutefois un grand nombre de questions de recherche à explorer et on aura besoin de plus de bras et de cerveaux pour le faire. L’expertise canadienne pourrait aussi s’avérer utile dans la chaine d’approvisionnement de l’industrie croissante de la fusion. De plus, la recherche-développement sur les nouveaux matériaux sera le prochain défi à relever. Qui sait, ce sera peut-être le filon qui mènera le retour de l’INRS dans le cercle de la fusion?

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