Caroline Chapain

Caroline Chapain

« Ma formation doctorale au Centre Urbanisation Culture Société de l’INRS m’a ouvert des horizons sur des pratiques de recherche à la fois interdisciplinaire et appliquée qui m’ont énormément servie durant ma carrière. Cette formation a aussi été l’occasion de faire partie d’une communauté de chercheurs engagés, tant au niveau des professeurs que de mes collègues étudiants, des principes d’engagement qui ont guidé le reste de ma carrière»

« Je suis très touchée que mon parcours professionnel soit perçu comme digne de recevoir ce prix Éclat et réponde aux valeurs d’engagement de l’INRS, car ces valeurs m’ont beaucoup influencée. » 

– Caroline Chapain, diplômée en 2005 du Doctorat en études urbaines, Professeure associée à l’École de commerce, University of Birmingham (R.-U.)

Entrevue-éclair avec notre lauréate d’un Prix Lumières 2024 • catégorie Éclat


Pourquoi avez-vous choisi d’étudier à l’INRS? 

Au terme de mes études au bac et à la maitrise en économie et finances publiques à l’Université de Montréal, j’étais passionnée par les villes et le développement urbain en Europe et en Amérique du Nord. Je m’intéressais particulièrement à l’étalement urbain, au développement des transports et aux politiques publiques et souhaitais poursuivre mes études dans ce domaine. Un professeur m’a recommandé l’INRS, où je pourrais compléter un programme doctoral en sept ans. Les deux premières années étaient consacrées essentiellement à l’étude des enjeux touchant au développement urbain, avec des points de vue de la sociologie, de la politique, de l’économie urbaine, etc. Ça favorisait une approche de recherche interdisciplinaire. J’ai trouvé ça génial. Ça m’a aidée à compléter mes connaissances et à élaborer ma thèse de recherche. Comme je m’intéresse à plein de choses, j’avais deux sujets de recherche et je n’arrivais pas à choisir. J’ai finalement concilié les deux en étudiant le développement des transports en lien avec le développement urbain.

Que retenez-vous de votre expérience à l’INRS?

C’était exactement ce dont j’avais besoin. Mon expérience a été très positive. J’y ai rencontré des étudiants de diverses origines ayant de multiples intérêts. Les chercheurs étaient excellents. Le programme se faisait en partenariat avec l’UQAM avec une approche de recherche vraiment très marquée à l’INRS. Et c’était une recherche impliquée, engagée, avec des valeurs progressistes, un souhait d’améliorer les choses. J’y ai rencontré des gens forts qui vivaient leurs convictions.

De plus, en tant qu’étudiants, on sentait qu’on faisait partie de la communauté de recherche, au même titre que mon directeur de recherche Mario Polèse et les autres profs. Tous étaient très accessibles. C’était un milieu très stimulant et ça m’a ouvert beaucoup de portes. Comme l’INRS avait des liens de collaboration avec des universités en Amérique Latine, j’ai effectué mon travail de terrain de recherche doctorale à Puebla au Mexique. Ça été réellement marquant pour ma carrière.

Avez-vous un souvenir préféré du campus? 

À l’époque, le Centre était sur la rue Durocher, en plein centre-ville, à la convergence de tout, près de l’Université McGill. Je me souviens de ce côté vibrant, dynamique. Et il y avait le café sur l’avenue du Parc, qui était en quelque sorte le quartier général des étudiants. C’est là que tout le monde se retrouvait.

Quelle est la leçon la plus importante que vous retenez de votre passage à l’INRS? 

Venant d’Europe et vivant au Québec, j’avais déjà pris conscience en quelque sorte que notre culture nous forme. Mais j’ai réellement compris durant mon doctorat que d’où on vient influence notre manière de penser et de concevoir le monde. Mon séjour au Mexique m’a ouvert les yeux sur mes privilèges, ne serait-ce que la possibilité de suivre cette formation, d’effectuer des recherches, d’avoir accès à des livres. Là-bas, chaque chercheur devait constituer sa propre bibliothèque.

J’ai fait de la recherche dans des quartiers périurbains défavorisés. J’ai constaté que mes connaissances et ma façon de penser la question du développement urbain et des transports étaient essentiellement basée sur une vision occidentale en quelque sorte réifiée. L’un des examinateurs externes de ma thèse, lui-même Chilien, m’a orientée vers la littérature latino-américaine sur les transports, qui s’est avérée plus pertinente que les ouvrages européens ou nord-américains. En effet, les transports urbains se développement souvent de façon plus organique sur les territoires des villes latino-américaines, avec différents transporteurs privés et une diversité de véhicules. Là-bas, si la population s’installe dans un nouveau secteur, les services vont suivre. Cette approche plus informelle facilite un développement urbain dont les défis socio-économiques et politiques sont souvent exacerbés.

C’était un choc, je ne m’attendais pas à ça. Chacun de nous suppose que sa façon de penser est la bonne. Or, j’ai retenu que, pour faire de la recherche, il faut être modeste et humble. On doit mettre ses idées préconçues de côté et ne pas hésiter à s’ouvrir à d’autres modes de pensée.

Parlez-nous de votre parcours depuis l’obtention de votre diplôme.

Après mon doctorat, je suis allée travailler en recherche sur les transports durant un an à l’Université de Winnipeg. Ensuite, comme l’INRS avait des liens étroits avec la Communauté urbaine de Montréal, j’y ai travaillé deux ans et demi. C’était un contexte dans lequel je pouvais appliquer la recherche, mais les décisions étaient souvent influencées par la politique de court terme. Ce n’était pas ce que je cherchais sur le plan professionnel. J’aime la recherche qui travaille pour des changement sociétaux sur le long terme.

J’ai exploré des postes au Royaume-Uni, à Birmingham et à Glasgow. À Birmingham, j’ai trouvé un centre de recherche en études urbaines, un milieu semblable à l’INRS, avec une forte culture de recherche appliquée. Je me suis plongée dans le secteur de la culture et de la créativité et le développement urbain et régional pendant cinq ans. J’ai fait de la recherche pour des villes, des régions  et des organismes de développement économique en Grande Bretagne et en Europe, j’ai travaillé avec une multitude d’acteurs engagés dans ces secteurs. En effectuant différentes études, j’ai participé à un dialogue avec une variété d’intervenants de l’écosystème de la culture et de la créativité et examiné les grappes créatives pour promouvoir un développement économique reposant sur une diversité d’activités culturelles locales et régionales. Pendant une décennie, j’ai étendu mon réseau en France, en Espagne, en Pologne…

Puis, je me suis jointe à l’École de commerce de l’Université de Birmingham, où je suis passée d’un contexte fortement axé sur la recherche à un environnement axé sur l’enseignement à de très grands groupes d’étudiants et donc plus difficile à concilier avec mes engagements en recherche. Et j’ai fait un burnout. Pendant mon arrêt de travail, j’ai voyagé neuf mois en sac à dos en Amérique Latine pour me questionner sur la suite de ma carrière. Cela m’a donné l’opportunité de me resourcer et de confirmer que j’aimais le milieu universitaire, la recherche appliquée et œuvrer pour changer les choses vers un monde plus juste.

À mon retour au travail, j’ai choisi des postes qui m’ont permis d’aligner à la fois la recherche et la formation avec mes valeurs et de mettre en place des initiatives afin de changer le système de l’intérieur. J’ai piloté un vaste chantier de trois ans pour la décolonisation du curriculum de l’École de commerce de Birmingham afin de repenser les modes de pensée et de faire des sciences de la gestion et du commerce. Et maintenant, compte tenu de l’urgence climatique, j’entreprends l’accompagnement de l’École vers la transformation du contenu et de la pédagogie afin que nos étudiants, qui sont les acteurs de demain, puissent mieux faire face aux défis que présentent les changements climatiques tout en tenant compte des enjeux socio-économiques existants.

Comment votre passage à l’INRS vous a-t-il préparée pour votre carrière?

J’y ai appris à travailler en interdisciplinarité. J’ai découvert la recherche engagée. Et j’ai constaté une grande ouverture. Au-delà de leurs expertise et compétences, les profs étaient des êtres humains qui nous transmettaient leur passion. C’est resté avec moi.

Quels conseils aimeriez-vous donner aux étudiantes et étudiants actuels?

Il ne faut pas craindre les parcours atypiques. Un parcours de chercheur, ce n’est pas linéaire. Il est possible de changer de direction, mais il faut accepter que cela prenne plus de temps pour faire le détour. Il faut suivre ses valeurs et sa passion. Aujourd’hui, il y a une très grande résonance entre ce que je crois et ce que je fais et c’est moteur au jour le jour. Par moment, ce n’était pas si clair. Mais il ne faut pas avoir peur, il faut accepter les doutes et l’incertitude.

Souvent, dans le milieu universitaire, on peut penser qu’on a un plus grand impact par nos travaux de recherche, par l’avancement des connaissances, mais en fait, c’est plutôt par la formation. Ce qu’on enseigne est transformateur pour un grand nombre de personnes qui étudient pour réaliser leurs rêves. Et c’est tellement important.

Aussi, une chose que j’aurais voulu qu’on me dise quand j’étais doctorante, c’est que ce n’est pas juste la thèse qui compte. C’est tout ce qui est autour : acquérir des compétences, réseauter, travailler avec d’autres, essayer d’autres avenues... Les gens et les nouvelles expériences nous font évoluer.

Enfin, un mot sur la santé mentale. Je crois que c’est plus facile d’en parler au Canada. À mon avis, on doit réfléchir aux attentes de performances envers les jeunes chercheurs : il faut rapidement publier, obtenir des fonds de recherche, il y a tout un discours d’excellence et de performance, etc. On valorise le fait d’être toujours super occupé. Mais, il faut faire attention et s’assurer qu’on mette son énergie là où se trouvent nos valeurs, ce qui est vraiment important pour nous, et trouver d’autres formes de reconnaissance pour être heureux et préserver son équilibre.

Quels sont vos souhaits pour l’avenir?

Mon souhait, c’est que de plus en plus de gens se mobilisent pour la planète, pour changer les choses avant qu’il ne soit trop tard. On a déjà trop attendu. Il est grand temps de mettre à profit le meilleur de ce qu’on est, que tout le monde ajoute sa pierre à l’édifice pour renverser la vapeur.

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